lundi 23 avril 2012

Dernière minute: Spectaculaire évasion des soeurs Labusque: elles agressent les gendarmes qui les accompagnaient et disparaissent... Sainte-Trique est en émoi!
Sources: "Mes2parts", "RTT" (Radio-Télé Triquéenne) et l'agence "Nerienter" .


Sainte-Trique, ce noble village de notre belle France, est en passe de devenir célèbre internationalement au même titre que Saint-Tropez... Le Qatar s'y intéresse (si, si! 2 lecteurs fidèles dans cet Emirat), tout comme l'Ukraine, les USA, l'Allemagne, la Russie, les Pays-bas, le Canada, Israël, le Royaume Uni, la Slovénie, la Roumanie, la Pologne, la Chine...




Sainte-Trique
 a small village in France is going to become as famous as 
Saint-Tropez! Don't forget to remember to visit this nice old small city.
                         
                              The mayor Nicandre Brouillon


...Du fluo et des hommes


Sur le bureau de Lagarrigue, un paquet apporté par La Poste, cette dynamique entreprise, orgueil de notre belle France. Le gendarme l'attendait certes, le paquet, pas la postière évidemment, mais sans empressement. Autour de lui, la verrière qui tenait lieu de mur pour la gendarmerie, lui rappelait désagréablement qu'il travaillait dans une véritable serre.

Serre conçue, les lecteurs de mes premières chroniques s'en souviendront, par ce génie de l'architecture mondialement reconnu pour ses créations débridées: Setaki Setoto. Un Japonais génial certes mais, outre qu'hors de prix, marqué par ses origines ataviques: son père, Atubu Tonsaké possédait une manufacture de verrerie. Bon fils, très respectueux, comme le veut la tradition au Pays du Soleil Levant, Setaki honorait son géniteur sans gêne. Devenu architecte, Setoto mettait des plaques de verre partout. Chacune de ses créations en comportaient des panneaux entiers. Ainsi, notre Japonais avait même eu l'idée de remplacer les traditionnelles plaques d'égout de Pont à Mousson par des disques de verre.
Cette idée fut considérée comme hautement écologique. Les citoyens pouvaient, tout en parcourant leur ville, se rendre compte sur quelle merde ils vivaient. Mais revenons à nos moutons...
Toute la structure du bâtiment était en verre épais. De vraies loupes à cuire sans difficultés le plus vieux des chapons ou la plus coriace et la plus vieille des poules.Et c'est ainsi que, victimes involontaires d'un nippon, les gendarmes de Sainte-Trique avaient eu droit à une serre tropicale pour centre opérationnel! La climatisation était plus adaptée, selon le qu'en dira-t-on villageois, à l'éclosion des poussins plutôt qu'au rafraîchissement des neurones ou du pastis de nos valeureux militaires.Faisant table rase de tous ces problèmes, Lagarrigue contemplait le paquet de la dimension d'un téléviseur de modèle cathodique des années 65, lorsque fleurissaient de jolies marques aujourd'hui disparues: Ribet Desjardins, Grandin, Sonneclair, La Voix de son Maître. Le gendarme rêva un moment. Finalement, il se décida. Saisissant un canif, il sectionna le ruban adhésif et souleva les rabats du carton. Ce que craignait Lagarrigue venait d'arriver. C'était là devant lui, dans la boîte: un vrai cauchemar.
Encore une idée des technocrates parisiens se dit-il. Avant on nous comparait à des poulets, maintenant on ressemblera à des poussins!
Et oui, la brigade de Sainte-Trique venait de se voir doter de gilets fluos du plus beau des jaunes, un jaune entre le jaune citron et le jaune d'or. Des gilets à porter obligatoirement dans le cadre de la lutte contre... On ne savait plus vraiment contre quoi, mais comme le ministre avait la réputation d'être un brasseur d'idées autant que de bière, les administrations sous ses ordres en faisaient les frais.
On murmurait en haut lieu qu'à chaque apéritif ministériel bien arrosé, une nouvelle directive fleuve arrivait dans les bureaux. Par chance, même si quelquefois le ministre voyait des éléphants roses, il n'avait pas encore décidé de faire repeindre les véhicules de la Gendarmerie Nationale en cette couleur! Mais selon certains, cela n'allait pas tarder.
Lagarrigue lut la circulaire ministérielle 23 456 567 publiée au Journal Officiel rubrique "Consignes de sécurité à appliquer pour sécuriser les sécurisateurs" ainsi libellée:
Vu le rapport de la Commission Parlementaire
Vu le rapport de la Commission Sénatoriale qui a revu le rapport de la Commission Parlementaire.
Vu le rapport de la Commission Parlementaire qui déclare (sic secret défense) qu'elle se moque bien des élucubrations des gâteux du Sénat.Vu le rapport de la sous-commission "Sécurité et Gilet", convoquée par erreur car elle ne s'occupe que des gilets de sauvetage.
Vu le rapport de la commission " Le jaune et la psychologie" , présidée par le Professeur Deleuf.
Vu le rapport de la commission " La psychologie du petit jaune" spécialisée dans les alcools anisés.
Vu la réunion de synthèse où toutes les commissions ont envoyé trois délégués
Vu le rapport de la commission "Le fluo est-il radio-actif".
Monsieur le Ministre a décrété que le gilet jaune-fluo serait désormais obligatoire pour chaque gendarme aussitôt qu'il franchirait la porte de son casernement ou de son bureau.
Lagarrigue sortit un à un les gilets. Ces derniers étaient soigneusement pliés et insérés dans un étui en plastique transparent. Le gendarme les compta: il y en avait un seul par gendarme! Pas un de plus, pas un de moins. La rigueur, c'est la rigueur.A contrecoeur, notre héros appela le planton et lui demanda d'insérer un gilet dans chacun des casiers de ses collègues.

Le lendemain de très bonne heure, la patrouille partit pour sa ronde habituelle. Les gilets furent enfilés en hâte alors que les gendarmes dormaient pratiquement debout.A la levée du jour, ils se postèrent à l'entrée de Sainte-Trique comme à l'habitude. Les automobilistes ralentissaient et souriaient.
Bientôt des Sainte-Triquois, à pied, vinrent voir nos gendarmes. Ces derniers sentaient dans les regards des habitants un certain amusement, voire un semblant de moquerie. Imperturbables, nos militaires continuaient à contrôler la circulation. Bientôt, autour d'eux, ce devint un véritable attroupement joyeux.
Là, les gendarmes se dirent qu'il y avait autre chose que la couleur des gilets pour amuser de sorte la population. L'un des pandores remarqua que les spectateurs venaient et portaient leurs regards sur le dos du gilet. Le gendarme enleva donc le sien et lu, imprimé au dos du gilet: "Emploi de réinsertion". Il constata que tous les gilets portaient la même inscription.
L'administration avait interverti les gilets fluos des détenus en voie de libération avec ceux des gendarmes! Les futurs libérés arboraient eux, fièrement: "Gendarmerie Nationale"...
La honte n'était pas totalement bue: un plaisantin affubla une nuit la Gendarmerie de Sainte-Trique d'une banderole où l'on pouvait lire :" Poulailler de réinsertion". Les gendarmes, beaux joueurs, ne se lancèrent pas à la poursuite du dit-plaisantin...
Mais, pendant un long temps, nos militaires n'enfilèrent leurs gilets qu'après une vérification méticuleuse, avec cette phrase évoquant l'architecte nippon dont nous avons parlé plus haut, "Setaki Sefluo!"
L'étrange histoire du Puits de Saint Gélaste,


mine de légendes pour
les poètes et de supputations pour les historiens
ou
Hagiographie d'un fils de Sainte-Trique


Chapitre n°1
(mais cependant fantaisistement historique)


Récit d'Astrulide Limmense, correspondant permanent -mais depuis peu- du grand quotidien: "La Vérité de Midi" - disponible dès 14 h dans tous les kiosques. Récit que ce grand pigiste nous a aimablement autorisé à publier sans en modifier une virgule. Ndl'A


Au treizième siècle, à l'orée de Sainte-Trique, au pied de la colline élevée de La Basse, apparut une cavité toute aussi profonde d'étrange: un gouffre qui soufflait des vapeurs jaunâtres, fétides et inquiétantes. Ces vapeurs empestaient des lieues à la ronde les champs et les masures des valeureux Sainte-Triquois de l'époque. De fortes pluies avaient créé ce phénomène qui changea en peu de temps la douce quiétude de la population en un cauchemar d'abord olfactif puis dantesque!

Peu à peu, l'idée fit son chemin qu'une porte de l'Enfer s'était ouverte sur leur commune. Comme la vulcanologie et Haroun Tazieff n'existaient pas encore ni d'ailleurs le Parc Vulcania - cher à l'auteur de ce magnifique roman d'amour où un président de notre belle République française se tape avec courage une princesse anglaise- (Ceux qui ont l'occasion de coucher avec une anglaise savent de quoi je parle NdL'A) les rumeurs donc allèrent bon train sur l'air bien connu de il n'y a pas de fumerolles sans diable.

Une porte de l'Enfer à Sainte-Trique! Rendez-vous compte de l'impact touristique que cela aurait aujourd'hui! Hélas, en ce temps-là, Gélaste dit à ses disciples: " Je vous le dis, certes, les damnés de la terre sont là! juste à quelques lieues, ils tournent en broche, ils brûlent en masse, ils souffrent par le souffre! Douleurs immenses et éternelles qu'ils subissent pour leur bien! Rejetons-les dans les braises enfouies! Donnons-les en pâtures à la lave diabolique ! Qu'ils nous oublient et que nous les oublions".


Gélaste n'avait aucun sens du commerce ni de la communication! Ce gars-là aurait pu enrichir les Sainte-Triquois au lieu de jouer les bouche-trous! Mais non, ce saint homme solitaire utilisa sa misogynie pour résoudre le problème: il ne prit avis que de ses disciples, tous des hommes de bonnes moeurs bien virils, gardiens chacun d'un beau troupeau de chèvres. Vous pensez bien que dès lors, les femmes, ces êtres purs, à l'âme lumineuse et aux formes rebondies (la mode en ce temps-là était aux pulpeuses confortables) n'allaient pas manquer d'être accusées de tous les maux...


Et c'est ce qui, ah! riva le sort non seulement du puits mais encore de femmes innocentes. Gélaste tiqua, car s'il ne manquait pas de souplesse physique, il était obtus d'esprit. (Petite remarque d'ordre géométrique: l'angle obtus étant un angle plus ouvert que l'angle droit, un esprit obtus devrait être un esprit ouvert, hors c'est exactement le contraire et cela en dépit que le carré de l'hypophyse soit égal à la somme des deux côtés du cervelet Ndl'A).


Un saint comme lui qui dialoguait en direct sur toutes les collines avoisinant Sainte-Trique avec le plus grand propriétaire de l'univers ne pouvait supporter que des fumerolles brouillent ses monologues. Gélaste choisit donc d'en boucher un coin à tous les habitants de la contrée en comblant le trou de communication avec l'Enfer! Il convoqua sur le champ du plus riche de ses fidèles, un dénommé Ohmais (car c'était un homme qui avait toujours une remarque négative à faire), ses plus proches disciples et leurs fidèles compagnes: les chèvres. Les mauvaises langues rapportent que ce jour-là, le champ avait une fragrance similaire au puits maudit, mais faisons les traire pour être tranquille et reprenons notre récit.


Saint Gélaste lança un tour d'étable pour consulter chacun, faisant semblant d'écouter car il avait déjà une idée précise de ce qu'il convenait de faire. On est le Saint patron ou on ne l'est pas! Et on ne va pas se laisser pourrir l'auréole par un Saint Dicat ou un Saint Agrève.


Tous ayant parlé, tandis que lui buvait non les paroles mais une liqueur proche de notre bon vieux 51 (Saint Gélaste était un membre actif des "All collines anonymes" réunissant les prêcheurs assoiffés d'ascensions mais ayant cependant une bonne descente Ndl'A). Gélaste donc, ferma les yeux (c'est bizarre tous ceux qui ont des visions les ont toujours les yeux clos) et ainsi le visage béat, les mains croisées sur la poitrine et réprimant une forte envie de se gratter l'oreille droite, le bon Saint doux parla:


- Ce gouffre est le corridor qui nous relie aux damnés. Il conduit à un lieu marqué à l'antre rouge! Un lieu où ne vivent pour l'éternité que des hommes et des femmes qui ont vécu dans la luxure et le péché! Pour détruire cette ouverture infernale, un seul moyen... Une unique voie...
- Oh! mais! S'il n'y a qu'une solution, c'est pas drôle!
- Tais-toi! Ohmais... Laisse tes objections de côté! Je n'ai encore rien dit! Comblons cette cheminée infernale par des pécheresses! Ainsi nous rendrons la tranquillité à Sainte-Trique!
Saint Dicat demanda la parole. Parle! lui ordonna Gélaste, mais ne soit pas revendicatif mais concret!
- Est-ce vraiment nécessaire que ces jetées humaines. C'est j'étais vous je trouverai une autre solution: des èretété par exemple! (Saint Dicat avait du mal à prononcer le "i" ainsi "si j'étais" devenait "c'est jété" dans sa bouche Ndl'A)
- Des eretété? s'étonna Saint Gélaste.
- C'est clair ! Pourtant! Mon Saint Patron ! Des "èretété" ! Cela veut bien dire ce que ça veut dire! d'abord "air" puis "téter"...
- Je ne vois toujours pas!
- Il faudrait pomper l'air nauséabond d'où l'expression "air tété!" l'enfermer dans des tuyaux et vérifier s'il peut s'enflammer. On le vendrait alors aux habitants de Sainte-Trique et des environs!
(on se rend compte ici de l'immense découverte, frôlée par Saint Gélaste! Il faillit en ces temps reculés inventer le Gdf ou "Gélaste de France" Ndl'A)
Gélaste ne retint pas cette proposition! Il tenait à son idée première: kidnapper des vierges et les jeter dans le gouffre...
(Des psychiatres célèbres se sont penchés sur cet épisode et en ont déduit que lors de sa naissance, sa mère, maladroite, l'aurait laissé choir directement de son utérus sur la terre battue de sa masure. En voulant précipiter des femmes dans un gouffre, Gélaste obéissait à son sur-moi gravement en conflit avec son moi. Son "ça" aurait ainsi revécu sa naissance, mais à l'envers! cela l'aurait guéri d'une blessure enfouie en les brumes anciennes de l'arrière-lobe de son cervelet car un traumatisme chasse l'autre! Ndl'A)


Ohmais comprit qu'il n'obtiendrait rien de Gélaste et finalement, l'idée de courir après quelques vierges lui parut pas si déplaisante et ça le changerait de ses chèvres.
Ainsi Gélaste exposa son plan de bataille: à la prochaine pleine lune, lui et ses disciples, après avoir salué l'astre nocturne s'introduiraient en les maisons préalablement sélectionnées pour abriter une ou plusieurs belles femmes. Ils s'en empareraient et les traîneraient au bord de cette porte infernale.
Ainsi fut fait, mais les événements ne se déroulèrent pas du tout comme prévus. A peine une bonne vingtaine de superbes vierges venaient d'être capturées qu'un violent orage, un vrai déluge de feu et d'eau s'abattit sur Sainte-Trique. Il en résulta deux conséquences: un éboulement colossal combla le gouffre maudit et la pluie rendit les vêtements des vierges totalement transparents, révélant chez elles des monts et des merveilles.
Là, Gélaste et ses disciples découvrirent un phénomène naturel qu'ils avaient un peu oublié. Pour simplifier, disons que ce ne fut pas la débandade chez ces saints-hommes mais plutôt le contraire. Ne pouvant précipiter désormais ces magnifiques spécimens de la féminité au fond du gouffre, c'est eux-mêmes qu'ils décidèrent de précipiter dans les profondeurs du plaisir et de la luxure. Ce devait être une nuit d'horreur, ce fut une nuit d'amour.
Gélaste remercia le Seigneur de sa clairvoyance et entreprit de s'infliger une pénitence pour avoir failli commettre le pire. Pour se punir, il choisit d'épouser celle qui lui avait offert son corps et son âme. (Tout lecteur marié remarquera là l'esprit de sacrifice de Saint Gélaste car entre l'enfer et le mariage, il n'y a que l'épaisseur d'une feuille de papier de cigarette. Ndl'A.)
Précisons encore pour conclure cet avant-propos que l'élue de Saint-Gélaste était splendide et douce, réservée et entreprenante, experte et capable d'initiatives tant en cuisine qu'au lit. (On voit bien là l'esprit de sacrifice du saint). Bref, sa femme était tout le contraire d'une Anglaise, car ces dernières, à l'horizontale, enterrent le désir masculin aussi sûrement qu'un certain président, évoqué plus haut, enterre l'envie d'un jour apprendre à jouer de l'accordéon. (Petite précision, l'auteur n'a aucun grief à l'encontre de nos voisins et voisines d'Outre-Manche, ses remarques sont purement objectives: un peuple qui ne boit que de l'eau chaude et se nourrit que d'aliments surbouillis voit automatiquement son capital génétique fortement atteint. Les Anglais n'ont aucun goût: il suffit de voir les chapeaux de la famille royale en général et ceux de la reine-mère en particulier pour s'en convaincre ! Et, avez-vous remarqué que les membres de cette illustre lignée, tous bons cavaliers, ressemblent fortement aux chevaux qu'ils montent!).
Le Blues de Lagarrigue


Comment un soleil déclinant d'automne
peut noircir le moral d'un gendarme...


Chapitre 2



Notre héros, le gendarme Lagarrigue avait depuis quelques semaines un moral en baisse. Pourquoi? Il n'aurait pas su le dire lui-même. Plus rien ne semblait vraiment l'intéresser: ni les planques pour surprendre Pauvrantoine, le sourd-muet, en train de braconner dans la forêt, ni les parties de cache-cache avec les automobilistes et encore moins l'utilisation des jumelles-radar pour observer discrètement les ébats des amoureux au loin, au bord de la rivière de Sainte-Trique, la Germe (ainsi dénommée par Litote, philosophe aujourd'hui oublié, parce que ses eaux rares et paresseuses n'avaient jamais eu la moindre influence sur la culture et l'agriculture du village.)
Une rivière inutile, moche, caillouteuse et sans intérêt donc comme l'est la Seine à Paris pour son Premier Magistrat qui souhaiterait s'en débarrasser et la remplacer par une large piste cyclable pour y faire rouler ses "Vélibs". "Paris Plage" devenant: "Paris-Piste". (N'avait-il pas déclaré, citons-le: "Je pisterai partout", montrant ainsi sa volonté puissante d'évacuer les critiques et les blocages des pro statu quo, prêts à laisser couler leur Seine indéfiniment sans retenue!)

Mais laissons là Notre-Dame-de-Paris, les Nains Valides, les tuyaux de Pompidou et les colonnes de Buren pour revenir à notre bon bourg de Sainte-Trique

Son maire avait bien eu l'idée de la couvrir (pas Notre Dame, la Germe! Suivez un peu, c'est pourtant clair!) et d'y faire passer une route mais l'opposition s'y était opposée. (Rien de plus normal à cela, une opposition, comme son nom l'indique ne peut faire autre chose que d'être contre et il y a même dans certains partis politiques une opposition "interne" comparable au ver qui dévore le fruit qui l'abrite et le nourrit. Ndl'A). Bref, la Germe résistait tel un virus d'hôpital, triste et vaseuse...
Eh! oui, cher lecteur, notre héros se sentait lui aussi triste et vaseux: l'été avait été très chaud, les orages rares, le vent desséchant et tous les cols chics qui venaient lui casser les pieds, les technocrates, les gradés, fleurissaient en cette fin d'été comme les chrysanthèmes sur les tombes en novembre.
En un mot commençant par "m", le "m" du ton mineur (l'auteur étant musicien à ses heures, il ne peut s'empêcher d'étaler ses pauvres connaissances comme l'on étale la confiture sur une tartine, mais lui, il essaie de ne pas couler) l'âme de Lagarrigue pensait en ton mineur, (car le gendarme a une âme, même si des mauvaises langues affirme qu'il n'a pas d'esprit, mais c'est une autre histoire comme le disait le frère Kipling). Pour les Lacaniens, Lagarrigue eût été jugé comme en pré-dépression et pour ses copains, plus simples et moins torturés, il n'avait tout simplement pas le moral!

- Votre nom?

- Droibonly, Monsieur le Brigadier.
- Épelez s'il vous plaît!Toutes les petites joies quotidiennes du gendarme étaient résumées en les touches de la vieille machine: des touches franches, des touches hésitantes, des touches fuyantes, des touches rebelles et des touches paresseuses: une véritable représentation de l'humanité entière, résumée sur un clavier Olivetti! Relire alors son travail, voir les mots noir sur blanc, donnait à notre gendarme l'apaisement du devoir accompli.Or, ce fut un fait de début d'hiver, un méfait imprévu qui réveilla en lui l'homme de devoir sous-pression, amateur à son heure de bonnes bières. Oui le limier subtil n'était pas encore à enterrer. Lagarrigue lève-toi et marche vers la lumière: allume les néons de ton bureau, ne reste plus dans l'obscurité et sers-toi une Bradwurstein bien fraîche.- Y'en a plus! gémit Lagarrigue.- Alors va en acheter! On ne va pas tout te dire! J'ai le chapitre 3 à commencer! J'ai pas le temps d'aller chez Lidal...Et Lagarrigue pensait: pourvu qu'il n'y ait pas trop de "a" , la touche coince...


Lagarrigue, tout à coup, se sentit mieux. Oui, il comprit qu'il devait réagir! Il était un des phares du beau village de Sainte-Trique. Il se mit au garde-à-vous et regarda le portrait du Président de la République. Une nouvelle force monta en lui: une force de l'ordre de la volonté de servir!
- Président! Me voilà! Je me réveille et je veille et veillerai sur le territoire soumis à ma compétence, avec sagesse et lucidité!
Il prit un bon d'engagement et commanda illico une nouvelle machine à écrire, une nouvelle voiture au Ministère Désarmé. Oui, Lagarrigue en retrouvant ses forces, allait écrire ces belles pages de gloire que rapportent ces Nouvelles Chroniques.


L'auteur qui connaît bien son héros se devrait de lui administrer une bonne dose d'adrénaline pour le sortir de ce mauvais passage mais ce même auteur ne peut rien face à la rigueur des lois militaires: Lagarrigue approchait de l'âge fatidique où l'armée n'en voudrait plus et où il devrait reprendre une vie civile. Pour notre bon gendarme, cet événement ressemblait à une condamnation à mort: plus de 4L cahotante, plus de bureau dans la gendarmerie, plus d'uniforme, plus de treillis... Plus rien! Même plus de machine à écrire modèle 1939 où il était si heureux de taper avec un doigt les dépositions des plaignants et des prévenus!
De la bonne utilisation des coffres de toit de voiture
ou
Comment rapatrier Grand-mère à moindre frais


(c'est le cas de le dire!)


Chapitre 3
Ayant bu, que dis-je apprécié avec délectation et à sa juste valeur, la bière que l'auteur, dans sa grande générosité, avait offerte virtuellement, à son héros, Lagarrigue se sentit en meilleure forme. Il prit son képi, sa vareuse, sa valise doublée d'un velours vert luisant et sans attendre d'éteindre ni d'étreintes, évacua la vendarmerie (pardon, la gendarmerie).


Le bleu du jour faisait place à une l'obscurité de plus en plus obsédante et le charme de la nuit s'apprêtait à bercer chaque Sainte-Triquois afin d'atténuer, des corps et des âmes, la fatigue journalière. La Lune apportait son croissant, paradoxe car l'heure n'était pas au déjeuner et les lampadaires rassuraient de leurs halos les passants tout en brûlant généreusement papillons de nuits et insectes. Pas de brouillard cependant, même pas une demi-brume pour avoir un voyou qui vous ressemblerait et qui siffloterait les mains dans les poches, comme celui d'Apollinaire, ce Mâle aimé. Mais, trop de poésie tuant la poésie, revenons à notre sujet.


Notre gendarme eut l'oeil attiré par un break immatriculé en Angleterre, dont la galerie portait un long coffre gris soigneusement arrimé. Ce qui frappa notre détective militaire, ce ne fut point tant la présence de ce coffre tout à fait banal somme toute, mais la présence sur le dit coffre de cinq ou six matous humant le toit de la voiture comme s'il était saupoudré de mou.


Lagarrigue pensa immédiatement qu'il devait y avoir une quelconque bestiole prise au piège dans l'obscurité de ce porte-bagage. Il observa le manège des chats, amusé, et resta là un long moment à suivre leur étrange manoeuvre. Lagarrigue en était là lorsqu'il vit un couple d'une quarantaine d'années bien sonnées au carillon de Big Ben, s'approcher de la voiture d'un pas d'abord décidé, puis plus circonspect, enfin franchement hésitant lorsqu'ils aperçurent le képi du gendarme. L'homme et la femme faisaient maladroitement semblant qu'ils étaient étrangers au véhicule assailli de chats, mais comment cacher que l'on appartient à la perfide Albion! Impossible lorsque l'on a des taches de rousseurs, la peau maladivement blanche et l'air d'avoir avalé un parapluie entier au dernier thé. Là, notons tout de suite qu'être Anglais n'est pas un défaut ou pire une tare, loin de là, la pensée de l'auteur! Il souligne par là, modestement que l'apparence physique des personnages était en corrélation avec la plaque d'immatriculation de la voiture, ce qui facilita la tâche du gendarme.
- Halte! Gendarmerie! cria Lagarrigue.
Le couple se figea et même sembla rétrécir....Les deux ressemblaient maintenant à une statue de sel.
- C'est à qui cette auto? demanda le gendarme, rendant ainsi un hommage discret à l'architecte créateur de son foyer professionnel, le Japonais Setaki Setoto (cf "Les Chroniques de Sainte-Trique" du même auteur note de l'éd.)
Le couple faisait tout pour avoir l'air de ne pas comprendre. Lagarrigue maintenant leur faisait face.
- Madame, monsieur, I repeat. Is this car is yours! (Je répète, est-ce que cette voiture est la vôtre! note du trad.)
L'homme semblant imiter Lagarrigue se décida à ouvrir sa bouche et déclara:
- Cette auto, c'est à moi c'est un break dense et confortable de quatre cylindres en ligne...
- Veuillez me présenter vos passeports et la papiers du véhicule! intima fermement et poliment le représentant de la maréchaussée.


Lagarrigue parcouru tous les documents et déclara
- C'est parfait. It's perfect! Et dans le coffre du toit qu'est-ce qu'il y a pour que tous les chats du quartier le reniflent! Du saucisson? de la panse de brebis farcie?
- Pas de la panse de brebis farcie déclara Gladys, de nom de jeune fille Waterproof.
- Alors? demanda le gendarme.
Le mari prit à son tour la parole:
- Ce n'est pas de la panse de brebis farcie, plat écossais à manger avec une pince sur le nez, mais ça y ressemble!
- Oooooooooooh! fit l'Anglaise. Peter ! Vous êtes odieux et cruel!
- Moi odieux? Monsieur le policeman français, je vais tout vous dire. Dans le coffre il y a ma belle-mère! Vous comprenez la ressemblance avec la panse de brebis!
- J'avoue que non, avoua Lagarrigue, et que fait votre belle mère sur le toit de votre voiture? Elle dort?
- En quelque sorte! répondit Peter.
- En quelque sorte? ça veut dire quoi?
- Elle dort provisoirement dans ce coffre certes, mais définitivement dans l'absolu!
- En clair, elle est morte! dit Lagarrigue.
- Exact, mon cher Hercule...


- Je ne suis pas un héros de la vieille Agatha, rectifia Lagarrigue! Je ne m'appelle pas Hercule et je ne ris pas! Je suis Lagarrigue, gendarme à Sainte-Trique, donc hunc et nunc et si j'ai bien compris, je répète: votre belle-mère est morte!
- C'est tout à fait cela! Elle est morte hier en Espagne, il y a à peine un jour: trois verres de Sangria à la santé de notre reine et deux heures de plage sur la Costa Dorada ont eu raison de sa santé à elle. Nous l'avons retrouvée cramoisie comme une langouste, les antennes en moins, notez bien! Que faire? Ma femme y tenait, il faut la comprendre, c'était sa mère; moi, je l'aurais bien jetée aux requins, mais ils sont rares en Méditerranée. En plus, ma belle-mère était une Waterproof, nom commun dans notre contrée le Sussesecs! Si elle prenait facilement des coups de soleil, elle résistait très bien à l'eau! Je me suis plié à l'avis de mon épouse: ramener le corps de sa mère dans sa patrie. Nous étudiâmes donc les diverses possibilités: les pompes funèbres: trop chères, Angleterre-assistance: trop tard, ils ne rapatrient pas les morts mais uniquement les blessés et les malades. Nous avons envisagé un moment de l'asseoir sur le siège arrière: pas pratique, le passage à trépas ne l'avait pas arrangée: elle était qui était déjà raide en temps normal était devenu d'une rigidité, d'une rigidité, comment dire?
- D'une rigidité cadavérique, compléta Lagarrigue.
- Exactement! Si on avait eu des poignées à disposition, on aurait pu les visser directement!
- Ainsi, sans poignées et par soucis d'économie, vous en êtes venus à la solution du coffre de toit!
- C'est tout à fait ça, monsieur le gendarme! Le coffre du toit: la bonne forme, la bonne longueur à quelques inches près. Nous y avons allongé délicatement belle maman. Nous l'avons calée avec des serviettes et attachée avec du fil de pêche... Et en route!

Lagarrigue était interloqué. En trente ans de carrière, il en avait vu de toutes les couleurs, mais le coup de la belle mère sur le toit, c'était nouveau. En plus, ce couple britannique ne semblait absolument pas troublé par leur comportement.
Le gendarme ne réfléchit pas plus d'une seconde pour prendre sa décision. Il ordonna aux Anglais de monter dans leur véhicule, il prit lui-même place à l'arrière:
- Nous allons à la morgue ! Suivez mes indications!
- Laissez-nous poursuivre notre voyage!
- Pas question! Qui prouve que vous n'avez pas assassiné la pauvre vieille? Qui prouve que vous ne mentez pas! Nous irons ensuite à la gendarmerie et je prendrai votre déposition...

L'enquête suivit son cours. C'était bien la belle-mère du conducteur et elle était décédée naturellement d'un arrêt cardiaque. La pauvre dame fut rapatriée dignement au pays des Beatles. Quant au couple, il écopa d'une forte amende et de trois semaines de prison avec sursis.
Lagarrigue, lui ne regarda plus jamais un coffre de toit sans un arrière doute...






Vols de vaches à Sainte-Trique
ou
Comment des veaux des champs deviennent des veaux de ville...
Chapitre 4
*
Septembre voyait ses derniers jours disparaître et le soleil devenir de plus en plus paresseux, un peu plus pressé chaque soir de se coucher derrière l'horizon. Sainte-Trique, noble village de notre belle patrie, mère d'un grand général ayant servi la Troisième République dont nous reparlerons à l'occasion et dont le nom déjà, à la seule évocation de ce héros, est sur toutes les lèvres de nos lecteurs, Sainte-Trique, donc, allait connaître une de ces étranges affaires qui font la gloire d'une gendarmerie lorsque l'énigme est résolue et les coupables bouclés.

Ce matin-là, alors que Lagarrigue tapait un rapport avec application et avec deux doigts de thé citron en guise de déjeuner, une série de coups de sonnette, dont on sentait que celui qui appuyait sur le contacteur devait être passablement énervé, le fit sursauter. Par interphone, Lagarrigue fit les sommations d'usage: Qui est-ce? Quel est le motif de votre visite?



- C'est moi! C'est pour mes veaux!
- Qui ça? Vous?
- Lagotriche! Tibulin Lagotriche de la ferme des Hauts-où-le-Vent-Hurle. C'est pour mes veaux!
- Je veaux ouvre! Pardon! Je vous ouvre!
Lagarrigue se trouva devant un Tibulin gras et passablement énervé. Le gendarme de fit asseoir.
- Je vous écoute, monsieur Lagodiche!
- Lagotriche! Voilà! Gendarme! Ce matin, comme tous les matins, je suis allé voir mes vaches et leurs veaux dans l'étable à trois cents mètres de chez moi. Tout avait l'air normal! Mais en ouvrant la porte, j'ai failli m'évanouir. Les sept vaches grasses étaient là mais orphelines de leurs veaux.
Lagarrigue se fit intérieurement la remarque qu'il y avait comme une inversion mais il n'interrompit point son interlocuteur.
Plus de veaux! Vous vous rendez compte! Même pas un! Rien! Que des vaches-mères aux regards éplorés, aux pis à lait prêts à exploser! J'ai fait un tour d'étable! Rien! Aucune trace de mes sept beaux veaux! Quant au taureau, il était visible qu'il avait les boules et que, s'il avait pu parler, il m'aurait dit où étaient passés ses enfants, ses pauvres enfants.



Ah! Mes veaux, où êtes-vous? Volés? Mes beaux veaux! La place! Je suis allé sur la place de Sainte-Trique, je n'ai rien remarqué de suspect, je suis alors entré dans l'église pour prier Saint-Antoine, car je suis dévot! Et me voici à la gendarmerie!
- Je vais prendre votre déposition avec plainte contre X, dit Lagarrigue. Sept veaux d'un coup, il faut une belle bétaillère! Et ils avaient un nom vos veaux volés?
- Mes veaux volés pratiquement sous mes volets? Oui : Jack, le fils de Marguerite une dure de la race, Lionel, le fils de la Joséphine, François, le veau de ma Hollandaise, La Royale, la fille de la Ségolène, les deux jumelles Bogue et Danophe, filles de la Grasse Houillette...
- Il en manque un! fit remarquer Lagarrigue.
- Récapitulons: Jack, Lionel, François, La Royale, Bogue et Danophe! J'y suis : c'est Tantine, la fille de la Burgos! (note à l'intention des moins de 50 ans: La tantine de Burgos est une chanson d'Henri Génès (Tarbes 2 juillet 1919-Paris 22 août 2005) Acteur et fantaisiste français, Henri Génès a aussi interprété avec brio: La vaca maladiva, titre dont la poésie ne peut échapper et qui a failli être récompensé par le prix "Pas de Cloche" ou, en anglais "No-Bell", prix consacré à la promotion des beaux bovins. Ndl'A.)
- Vous donnez des prénoms d'humains à vos animaux? demanda Lagarrigue.
- Bien obligé, on donne des noms de vaches aux enfants maintenant: Cannelle, Fleur, Tisane, Capucine!
Lagarrigue convint que le Père Lagotriche n'avait pas tout à fait tort.



La déposition enregistrée, Lagarrigue décida d'aller enquêter sur place. L'étable était telle que l'avait décrite Tibulin, moderne, bien équipée pour la traite et la re-traite de ses habitantes. Et à la place des sept veaux: sept anneaux vides. Le voleur ou les voleurs des veaux avaient travaillé très proprement: rien d'abîmé. Seul, un veau laid restait les yeux mi-clos, l'air triste, tandis que la brise faisait grincer un volet mal fermé.



En bon professionnel Lagarrigue prit quelques photos, releva des échantillons de paille, mais il était assez pessimiste. Il craignait une affaire d'abattage clandestin et comme rien ne ressemble plus à une côtelette qu'une autre côtelette, l'enquête serait difficile. Il ne cacha pas cette conclusion à Tibulin qui de désespoir se mit à pleurer comme... (ici l'auteur par respect pour le désespoir du père Lagotriche arrêtera là sa comparaison)



Et le temps passa sans que le mystère ne fut résolu, quand, un beau matin, Lagarrigue tomba sur un article de presse qui retint toute son attention. Il lu: Au grand salon des Artistes Contemporains Gare de Paris, une installation fera sans doute le bonheur d'un public citadin, celle du génial Amo Vible. En effet cet artiste mondialement reconnu -sauf par ses parents auxquels il fait honte- expose sept veaux enchâssés chacun dans une gangue de résine transparente. Le génie de cet artiste est de rendre la mort vivante et de figer l'instant du passage de la vie au trépas. Chaque veau exposé dort, semble-t-il, paisiblement, comme Blanche Neige contemplée par ses sept nains, comme l'enfant qui sommeille dans les entrailles maternelles, le poil intact et l'air bovin sauvegardé. (là, le journaliste ne parle plus de l'enfant mais des veaux Ndl'A pour les lecteurs égarés.)



Amo Vible - de son vrai nom Gérard Inier- offre au visiteur du Salon des Zarts Contemporain l'instant freudien tant recherché tel le point G. 
Ce "G" annonciateur de la Gnose et non pas de la Gaudriole nous conduit dans la voie de la découverte d'un concept à mi-chemin entre le complexe d'Oedipe et la frustration d'une sexualité non encore dévoyée par une société au libéralisme contraignant. (ou déVEAUyé pour rester fidèle aux modèles). Oui le grand Amo Vible installe définitivement le figé dans l'éternel, le transparent dans le social, le glaçon dans le pastis, la main de ma soeur dans la culotte d'un Zouave, symbiose d'une culture dont les racines agricoles et rupestres d'hier irriguent encore aujourd'hui les citadins et les citadindes...



Lagarrigue arrêta là sa lecture. Il appela sur le champ Tibulin.
- Avez-vous lu le journal ?
- Non mais il est sur mon porc table. Je m'y mets!
- Votre portable? demanda Lagarrigue.
- Non! sur mon porc table ou si vous préférez ma table de salon: c'est un meuble qui a des pieds de cochon et un plateau de verre!
Lagarrigue coupa court à ces explications obscures pour lui:
- Venez d'urgence à la gendarmerie, je crois que nous avons du nouveau sur vos veaux!
- J'arrive au galop!
Deux heures plus tard, Lagarrigue et Tibulin arrivèrent à la même conclusion:
- Une visite de ce salon s'impose!
Ainsi, huit jours plus tard, Lagarrigue et Tibulin débarquèrent à Paris, leur TSTGV (Train Sainte-Triquois à Grande Vapeur, ce qui évite les pannes de caténaires mais oblige les employés de la SNCF à aller au charbon Ndl'A).
Les deux hommes eurent immédiatement l'impression d'entrer dans une fourmilière géante: ça s'agitait dans tous les sens, ça se bousculait, ça se regardait furtivement, ça s'épiait craintivement, ça se soupçonnait, ça se haïssait copieusement sans se connaître, ça s'invectivait grossièrement. Bref, pas de doute, ils étaient bien à Paris.
- Si c'est la plus belle capitale du monde, on se demande comment doivent être les autres! fit remarquer Tibulin.
- Ah! Paris-Lutèce! Lutèce qui signifie "ville de boue"!
- Ville "debout"? demanda Lagotriche, en épelant.
- Non! "de boue" de gadoue.... Mais notre mission n'est pas de dire du bien de Paris mais d'aller rencontrer Amo Vible. Il nous attend à la Gare de Paris, cet ensemble désaffecté transformé en temple de la Conn...
- Connerie? interrompit Tibulin.
- ... de la Connaissance Artistique corrigea Lagarrigue.



Nos deux Sainte-Triquois s'entassèrent la bétaillère souterraine entre un grand escogriffe mal réveillé et un petit noir très sympa qui entama la conversation avec eux et leur proposa d'aller prendre un café crème ensemble quand il s'aperçut que ses deux interlocuteurs étaient provinciaux.
Lagarrigue, en civil, déclina à grand regret la proposition: trop peu de temps!
- Sympa, ce parisien! dit Tibulin.
- Vous ne l'avez pas reconnu?
- Ma foi, non...
- C'est Ori Gami!
Époustouflé, Tibulin répliqua:
- Le "VRAI"!
- Évidemment le "vrai" répondit le gendarme. Le grand footballeur de l'équipe de France! Ori Gami dont tous les enfants passionnés de football découpent les photos dans les journaux!
- Et il prend le métro! dit à mi-voix Tibulin admiratif
- Ori Gami gamin allait à tous ses entraînements ainsi: il prenait le métro puis le RER pour arriver au stade, il a gardé cette habitude. Et comme les Parisiens ne se regardent pas entre-eux, ce grand sportif traverse tout Paris sans être importuné.
Un grand silence se fit. Lagarrigue et Tibulin étaient à cinq minutes de leur rendez-vous.
L'auteur les laisse donc en répit et va en profiter pour boire le café refusé plus haut... A tout de suite!
Lagarrigue et Tibulin allaient se présenter devant l'immense porte de la Gare de Paris, ornée d'une banderole à la gloire de l'oeuvre d'Amo Vible. L'auteur dût avaler rapidement sa dernière goutte de café pour ne pas les faire attendre et les reprendre en main.
Une merveille cette porte en fer de Lens forgé entièrement à la main à la fin du XVIII ème siècle. Lagarrigue fit plus particulièrement remarquer à Tibulin les sculptures en feuilles d'acompte, symbolisant les sommes partielles remises aux ouvriers avant la paye définitive, les torsades massées au schiste pour les rendre plus envoûtantes et les barres horizontales empalées façon "marquis", technique rendue populaire comme son nom l'indique par le Marquis de Sade, archisexe de formation, lors de son séjour à la célèbre prison de la Bastille.
Le gendarme et son plaignant franchirent le hall et s'annoncèrent. Amo Vible les attendait dans l'immense salle où trônaient ses "oeuvres": veaux, volailles, volatiles, ficelés avec des bandes de veau-laq puis englués dans une résine transparente. Lagarrigue ressentit comme un malaise à la vue de ces blocs...



Amo Vible ne lui laissa pas le temps de penser et vint à leur rencontre:
- Très chers amis, je vous attendais avec une telle impatience! La police dans mon installation, c'est géant, Kaht Zino mon agent est fou de joie. C'est la gloire!
- La Gendarmerie! précisa Lagarrigue. La Gendarmerie!
- C'est pareil où même mieux! Passez-moi les menottes! La presse est là!
Et à ce moment une dizaine d'énergumènes surgirent d'un réduit dissimulé par une sculpture obèse du jardinier Beau-Terreau, meute d'hirsutes armés d'appareils photos et de caméras!
Lagarrigue en fut estomaqué! Mais en gendarme d'expérience, il réagit immédiatement, posa un bras sur l'épaule d'Amo Vible et déclara:
- Messieurs, il y a un malentendu! Je suis là pour représenter le beau village de Sainte-Trique tout simplement! Il n'est ni question de menottes ni d'arrestation!



Amo Vible, au bord de la crise de nerf trépignait sur place et regardant le gendarme d'un air suppliant dit:
- Si ! Si! Arrêtez-moi! Arrêtez-moi juste une minute pour la photo!
Lagarrigue ne pipa mot.
- Juste une seconde! tenta Amo Vible. Une seconde, une toute petite seconde!
- Passons dans le bureau du commissaire d'exposition! coupa le gendarme qui commençait à avoir des difficultés à supporter les simagrées de l'excité. Montrez-nous le chemin!
Déçu, l'installateur les amena à l'étage supérieur, tapa timidement à une porte ornée d'une plaque cuivrée où l'on pouvait lire: " Directoire privé" et à la ligne inférieure: " Bureau du Haut-Commissariat de l'Art Contemporain"
Une voix au timbre oblitéré de componction répondit:
- Veuillez garder le silence et vous préparer à me rencontrer!
Lagarrigue, Tibulin et Amo Vible restèrent ainsi à faire le pied de grue pendant cinq bonnes minutes avant d'entendre le "clac" du déverrouillage de l'huis. Rencontrer le Haut Commissaire de l'Art Contemporain, cela se mérite. Enfin, ils purent entrer!
La pièce qui se présentait devant eux était immense. Une foule d'objets hétéroclites l'encombrait: une bétonnière bleue, des sacs poubelles pleins, des bottes de paill en forme de fesses, des planches criblées de clous, une cage décorée de phares de voitures avec des dés géants, oeuvre appelée par son auteur: "cage de phares à dés". Le bureau du Haut Commissaire disparaissait lui, derrière des piles de dossiers poussiéreux. Derrière ce bureau, debout, le Haut-Commissaire, immensément gros, grand et gras. Lagarrigue eut l'impression qu'il allait rencontrer une nouvelle espèce de méduse.
- Bienvenue! Messieurs en ce temple de la culture contemporaine! Salut à vous Amo Vible! Ô poète de la résine, Chancre de la société!
- Vous voulez sans doute dire "chantre"! coupa Lagarrigue.
- Non, non! L'installation pensée pour l'espace musée de la gare de Paris agit sur cet espace à la manière d'un "ordre désintégrateur" pour citer Robert Smithson, et le chancre n'est-il pas le premier symptôme de la désintégration de l'Homme avec un grand "O" et de sa sexualité avec un grand "Q"! Oui Amo Vible est bien " Le chancre las, le microbe de chambre! Le pou belle et la société applaudit son cri de désespoir!

Lagarrigue commençait à perdre patience:
- Cher Haut Commissaire, gardez vos nébuleuses théories pour les intellectuels dégénérés qui s'extasient devant des stupidités pseudo artistiques. Je suis ici pour que vous me donniez des informations sur la provenances des veaux d'Amo Vible, votre "installateur"!

Le gendarme eut alors l'impression d'avoir tenté d'assassiner son interlocuteur: ce dernier se mit à gémir, et dans un souffle qui ressemblait au dernier râle d'un agonisant, le Haut Commissaire à l'Art Contemporain murmura:

- Les veaux! Les veaux! Quel terme bassement provincial et paysan! Choisis et installés par Amo, ce ne sont plus des veaux!
- Et ce sont quoi alors? demanda Lagarrigue
- Des œuvres d'art, des chefs-d'oeuvre d'art!
- Cela est très embêtant pour vous! dit le gendarme.
- Ah? et pourquoi.
- Parce que voler des œuvres d'art coûte beaucoup plus cher que voler des veaux! Tant en années de prison qu'en dédommagement! Mettons de dix à vingt fois plus selon les juges.
Amo Vible de plus en plus nerveux prit la parole en tremblant:
- Ce ne sont que des veaux! Je veux en témoigner! Je ne suis pas...



- Taisez-vous! Hurla le Haut Commissaire qui semblait avoir repris ses esprits.
Lagarrigue fit semblant de ne pas avoir entendu:
- Et où les avez-vous trouvés? demanda le gendarme
- A Sainte-Trique!
- Nous y voilà!
Amo Vible dont la voix tremblait raconta alors comment il avait eu l'idée d'enlever les veaux de Tibulin Lagotriche...
Les aveux d'Amo Vible
ou
Qui vole un veau vole un veuf
*
Chapitre 5


*


- A la bonne heure! soupira Lagarrigue. C'est tellement simple la vérité, tellement facile!
Amo Vible ne parut pas du tout convaincu de ces affirmations proclamées par le gendarme:
- Facile, facile! C'est vous qui le dites! Moi, le génie, le grand prêtre de l'Art avec un grand tas d'ordures figées et exposées en les plus grand musée du monde! Voilà que l'on me cherche des poux dans ma calvitie pour sept veaux, alors qu'il n'y a même pas de quoi en faire un rhume! Sept veaux, devenus éternels...
- Pourquoi les avoir volés? Vous ne pouviez pas les acheter , tout simplement?
- Les acheter! Quelle horrible idée! C'eût été me dévaloriser, tomber dans les travers des porcs de la consommation! Sombrer tel un Titanic dans la facilité. Non, il me fallait des veaux vrais élevés en plein air!
- Et comment avez-vous atterri à Sainte-Trique? demanda le gendarme.
- Tout simplement parce qu'un des mes amis très proche y demeure. Il m'a renseigné sans s'en apercevoir. je lui ai demandé quel était le plus bel élevage de bovin dans son bourg. Il m'a répondu : ceux du père Lagotriche, un veuf qui régulièrement gagne les concours agricoles pour la qualité de son cheptel! L'idée a fait son chemin. Je suis allé voir ces veaux de visu! Vraiment mon ami ne m'avait pas menti. Les veaux du veuf étaient splendides: tête altière, garrot haut, pattes fraîches, croupe prometteuse, pis en formation... J'en suis immédiatement devenu fou! Je tenais les oeuvres majeures de ma future installation. Il ne me manquait plus qu'à les adopter!
- A les voler! précisa Lagarrigue...
Au mot "dédommagement" les yeux du père Lagotriche se mirent à étinceler. Des symboles ressemblant fortement à des euros brillaient au fond de ses pupilles.
- Et ce dédommagement serait de? demanda-t-il.
- Mettons 3 euros le kilos cela donnerait si chaque veau bon poids pèse 100 kilos, 2400 euros... ça vous va pour vos sept veaux?
Le père Lagrotiche se gratta le béret. Il prenait un air le plus hésitant possible...
L'artiste avait compris:
- Bon! Je double : 4000 euros!
- Ce n'est pas le double ça! il manque...
- Topez pour 4800! c'est mon dernier prix! Est-ce votre dernier mot?
- C'est mon dernier mot Amo Vible! J'accepte et petit b, je retire ma plainte! J'oublie! Mes veaux sont maintenant au musée! C'est mieux qu'être en blanquette!
Lagarrigue se demandait que faire. La plainte retirée, il ne pouvait plus grand chose. Il prit cependant la parole:
- Pourquoi n'avez-vous tout simplement acheté ces bestiaux dès le départ! Tout le monde y aurait gagné du temps! Nous aurions évité un déplacement maintenant inutile!

- Pour le plaisir du fruit défendu! Acheter des veaux, c'est facile, les voler c'est plus sportif! C'est comme l'histoire du fruit défendu d'Eve. Si le Créateur avait dit: " Pour votre santé, mangez au moins cinq fruits par jour" ni Eve ni Adam ne l'auraient écouté! Mais en déclarant: " ne touchez pas à cet arbre!" Il savait qu'il créait, après le ciel, la terre, la lumière, la chose la plus merveilleuse au monde: le péché de désobéissance allié à celui de la gourmandise! Et qu'y a-t-il de plus beau qu'une femme gourmande d'amour! Je vous le demande! L'affaire est close?
- Elle est close! fit Lagarrigue...
Ainsi sept veaux dorment éternellement vitrifiés, plastifiés et admirés par un public sans cesse renouvelé!

- Vous n'allez pas chicaner sur un mot. De toutes les façons ces veaux étaient dévoués à l'abattoir et aux étals des bouchers pour finir dans une assiette en blanquette, en paupiettes, en côtelettes. Moi,ces veaux, j'en ai fait des oeuvres d'art éternelles. des veaux, morts certes, mais éternels! Réfléchissez! Je vous propose un dédommagement honnête si la plainte est retirée.

Ce n'est pas parce qu'on vole un briquet

... Que l'on est forcément une lumière...


ou


hold up à Sainte-Trique


*
Chapitre 6
*
Il était environ quatre heures de l'après-midi, autrement dit seize heures pour les Parisiens, lorsque Madame Noémie Krumble, propriétaire de l’Épicerie Centrale de Sainte-Trique eut la visite d'un client qui désirait acheter un briquet pas cher. Jusque-là, rien d'anormal me direz-vous. Noémie, dont la longévité derrière son comptoir eut pu être comparée à celle de Mathusalem, se mit donc en devoir de lui présenter tous les modèles de son assortiment: des briquets à amadou, des briquets à essence, des briquets à gaz et même un tout nouveau briquet dont la flamme était garantie "bio". Tiquez-vous à l'annonce de cette nouveauté? Ce n'est pas utile, rassurez-vous. Le bio maintenant est partout! Comment voudriez-vous que notre beau village y échappât! Bio éthique par-ci, bio et toc par là, toute une population en mal de masochisme ne peut plus respirer sans ce label. Même les acariens sont devenus bio dans les moquettes et les tapis...

Noémie, elle-même était un pur produit de cette nouvelle lubie consommatrice. On ne pouvait pas être plus naturelle qu'elle. Elle était bio, au sens américain du terme: elle sentait bon la sueur tiède.

Arrêtons-nous un instant sur notre sujet et approchons notre regard de cette commerçante respectable et que découvrons nous: pas de teinture de la chevelure, pas d'épilation des sourcils -pour le reste on ne peut que supputer- pas de rasage de la moustache, pas de déodorant à l'aluminium. Noémie était toujours vêtu d'un tablier en lin de l'Ain, un chemisier à carreau sable, des chaussures en forme de sabots de la fameuse île d'Hélène, des bas Bouche du Rhône. Oui, répétons-le avec insistance: Noémie était une femme-bio. Les Sainte-Triquois l'avaient surnommée: Noémie carême, allusion à sa double abstinence, sexuelle et épilatoire dont nous laisserons à nos lecteurs le soin d'imaginer les détails.
Mais cessons d'aller de broc et revenons à notre amateur de briquet. La cinquantaine, le mètre soixante-sept, les cheveux très bruns, une grosse montre en or au poignet, une grande nervosité apparente, une épaule secouée par des soubresauts incontrôlés, des grandes oreilles, trop grandes par rapport à l'ensemble du visage. Cela rappela à l'épicière quelqu'un, mais qui?

Tandis que l'homme semblait réfléchir, Noémie ressentait comme un malaise: sa compétence n'était pas honorée à sa juste valeur: pas de questions, pas de remarques. Finalement, toujours très agité, l'acheteur se décida pour un briquet bique: un briquet orné d'une tête de chèvre. Il sortit son portefeuille et en tira un billet de cinq euros qu'il tendit à la vendeuse. Cette dernière ouvrit son tiroir caisse sans méfiance.
C'est alors que tout bascula. L'homme poussa Noémie, s'empara de la liasse de billets à sa portée et disparut en un éclair du magasin, laissant la sans déo chocolat.
Noémie, hors d'elle hurla: "Casse-toi pauvre con!" puis "Reviens abruti!" et sans perdre de temps appela la gendarmerie de Sainte-Trique.

En moins de temps qu'il ne faut pour épeler le plus long mot de notre belle langue française, Lagarrigue arriva, suivi des curieux et des voisins.
La description précise du voleur incitait Lagarrigue à l'optimisme. Un petit nerveux, ça se remarque.
Nos lecteurs connaissent la détermination de notre gendarme, son flair et ses intuitions. Là encore, ce gardien de l'ordre allait démontrer la grandeur de ses qualités.
Les voies obscures du destin allaient l'aider: Marchant sur son lacet défait, Lagarrigue s'étala de tout son long sur le sol du magasin. Un lacet judicieusement complice dans l'enquête, malgré un double noeud gansé réglementaire et militairement noué.

A plat ventre, le flair du gendarme, au sens propre, fut alerté par une vague odeur de cuir masquée cependant par la proximité de pieds que par respect nous ne dénoncerons pas leur propriétaire. Ses yeux confirmèrent son odorat: un portefeuille en vachette de Lille gisait, ouvert sur le parquet de l'épicerie.
Lagarrigue s'en empara et se releva, sans même attacher son lacet. Le portefeuille ouvert, notre gendarme eut en main, à son grand étonnement, la carte d'identité, le permis de conduire, une série de photos. Tout simplement, le voleur dans sa précipitation, avait perdu son portefeuille.

Noémie triomphait. Brossant les genoux de son pantalon, le gendarme salua réglementairement et déclara:
- Madame Krumble, passez à la gendarmerie demain pour la plainte!
Il ne restait plus qu'à cueillir notre homme chez lui. Ce qui fût fait dans les minutes suivantes. Lagarrigue eut alors le choc de sa vie. L'homme recherché présentait une ressemblance troublante avec un personnage de la politique de petite taille et de haut niveau, mais cela est une autre histoire comme le disait Kipling.