... Que l'on est forcément une lumière...
ou
hold up à Sainte-Trique
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Chapitre 6
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Il était environ quatre heures de l'après-midi, autrement dit seize heures pour les Parisiens, lorsque Madame Noémie Krumble, propriétaire de l’Épicerie Centrale de Sainte-Trique eut la visite d'un client qui désirait acheter un briquet pas cher. Jusque-là, rien d'anormal me direz-vous. Noémie, dont la longévité derrière son comptoir eut pu être comparée à celle de Mathusalem, se mit donc en devoir de lui présenter tous les modèles de son assortiment: des briquets à amadou, des briquets à essence, des briquets à gaz et même un tout nouveau briquet dont la flamme était garantie "bio". Tiquez-vous à l'annonce de cette nouveauté? Ce n'est pas utile, rassurez-vous. Le bio maintenant est partout! Comment voudriez-vous que notre beau village y échappât! Bio éthique par-ci, bio et toc par là, toute une population en mal de masochisme ne peut plus respirer sans ce label. Même les acariens sont devenus bio dans les moquettes et les tapis...
Noémie, elle-même était un pur produit de cette nouvelle lubie consommatrice. On ne pouvait pas être plus naturelle qu'elle. Elle était bio, au sens américain du terme: elle sentait bon la sueur tiède.
Arrêtons-nous un instant sur notre sujet et approchons notre regard de cette commerçante respectable et que découvrons nous: pas de teinture de la chevelure, pas d'épilation des sourcils -pour le reste on ne peut que supputer- pas de rasage de la moustache, pas de déodorant à l'aluminium. Noémie était toujours vêtu d'un tablier en lin de l'Ain, un chemisier à carreau sable, des chaussures en forme de sabots de la fameuse île d'Hélène, des bas Bouche du Rhône. Oui, répétons-le avec insistance: Noémie était une femme-bio. Les Sainte-Triquois l'avaient surnommée: Noémie carême, allusion à sa double abstinence, sexuelle et épilatoire dont nous laisserons à nos lecteurs le soin d'imaginer les détails.
Mais cessons d'aller de broc et revenons à notre amateur de briquet. La cinquantaine, le mètre soixante-sept, les cheveux très bruns, une grosse montre en or au poignet, une grande nervosité apparente, une épaule secouée par des soubresauts incontrôlés, des grandes oreilles, trop grandes par rapport à l'ensemble du visage. Cela rappela à l'épicière quelqu'un, mais qui?
Tandis que l'homme semblait réfléchir, Noémie ressentait comme un malaise: sa compétence n'était pas honorée à sa juste valeur: pas de questions, pas de remarques. Finalement, toujours très agité, l'acheteur se décida pour un briquet bique: un briquet orné d'une tête de chèvre. Il sortit son portefeuille et en tira un billet de cinq euros qu'il tendit à la vendeuse. Cette dernière ouvrit son tiroir caisse sans méfiance.
C'est alors que tout bascula. L'homme poussa Noémie, s'empara de la liasse de billets à sa portée et disparut en un éclair du magasin, laissant la sans déo chocolat.
Noémie, hors d'elle hurla: "Casse-toi pauvre con!" puis "Reviens abruti!" et sans perdre de temps appela la gendarmerie de Sainte-Trique.
En moins de temps qu'il ne faut pour épeler le plus long mot de notre belle langue française, Lagarrigue arriva, suivi des curieux et des voisins.
La description précise du voleur incitait Lagarrigue à l'optimisme. Un petit nerveux, ça se remarque.
Nos lecteurs connaissent la détermination de notre gendarme, son flair et ses intuitions. Là encore, ce gardien de l'ordre allait démontrer la grandeur de ses qualités.
Les voies obscures du destin allaient l'aider: Marchant sur son lacet défait, Lagarrigue s'étala de tout son long sur le sol du magasin. Un lacet judicieusement complice dans l'enquête, malgré un double noeud gansé réglementaire et militairement noué.
A plat ventre, le flair du gendarme, au sens propre, fut alerté par une vague odeur de cuir masquée cependant par la proximité de pieds que par respect nous ne dénoncerons pas leur propriétaire. Ses yeux confirmèrent son odorat: un portefeuille en vachette de Lille gisait, ouvert sur le parquet de l'épicerie.
Lagarrigue s'en empara et se releva, sans même attacher son lacet. Le portefeuille ouvert, notre gendarme eut en main, à son grand étonnement, la carte d'identité, le permis de conduire, une série de photos. Tout simplement, le voleur dans sa précipitation, avait perdu son portefeuille.
Noémie triomphait. Brossant les genoux de son pantalon, le gendarme salua réglementairement et déclara:
- Madame Krumble, passez à la gendarmerie demain pour la plainte!
Il ne restait plus qu'à cueillir notre homme chez lui. Ce qui fût fait dans les minutes suivantes. Lagarrigue eut alors le choc de sa vie. L'homme recherché présentait une ressemblance troublante avec un personnage de la politique de petite taille et de haut niveau, mais cela est une autre histoire comme le disait Kipling.