Le retour des soeurs Labusque
Chapitre 7
Chapitre 7
La lettre de l'administration pénitentiaire que notre bon gendarme tenait entre les mains, malgré la clarté aveuglante de son intitulé :"Transfert à la prison de Sainte-Trique des soeurs Labusque", laissait Lagarrigue perplexe. Il ne voyait pas vraiment les motifs de ce retour. A Sainte-Trique, les soeurs Labusque, stériles vieilles filles, n'avaient pas de famille du tout, sauf une bonne quinzaine de chats, mais pas la moindre petite nièce dont elles auraient pu pourrir la vie! Et pourtant le motif était bien là, sous ses yeux, en noir sur blanc. Il décida d'en avoir le coeur net. Notre gendarme décrocha son téléphone et prit sur lui d'appeler sur sa ligne directe Monsieur le Maire, Nicandre Brouillon, surnommé affectueusement par toute la population Sainte-Triquoise "Godefroy" ou "de Culture".
La sonnerie retentit à 14h 33 précise, dans le cabinet du maire, heure à laquelle Nicandre Brouillon s'appliquait à recopier au propre et à la plume sa prochaine allocution :"Notre belle commune de Sainte-Trique a son avenir devant elle, même si son passé glorieux est toujours présent". Ce texte, destiné aux pensionnaires de la maison de retraite, laissait Nicandre empli de satisfaction. Un discours est toujours un discours: il est rédigé pour être lu plus que pour être écouté.
La sonnerie retentit à 14h 33 précise, dans le cabinet du maire, heure à laquelle Nicandre Brouillon s'appliquait à recopier au propre et à la plume sa prochaine allocution :"Notre belle commune de Sainte-Trique a son avenir devant elle, même si son passé glorieux est toujours présent". Ce texte, destiné aux pensionnaires de la maison de retraite, laissait Nicandre empli de satisfaction. Un discours est toujours un discours: il est rédigé pour être lu plus que pour être écouté.
Ah! la maison de retraite de Sainte-Trique! Il convient d'en dire quelques mots. C'était la fierté de la Mairie et l'un des trois maillons d'une vaste réalisation bâtit dans un parc paysager: la dite maison de retraite au nom si poétique (et prémonitoire)"d'Antichambre de la Paix éternelle", le cimetière Saint Pierre et le crématorium Sainte Jeanne d'Arc. Précisons aussi, c'est capital, que grâce au groupe écologiste de Sainte Trique -dont il faut reconnaître la paternité de cette innovation- le crématorium contribuait au chauffage collectif du complexe hôtelier accueillant les familles des défunts présents ou à venir. Le restaurant fameux pour ses grillades et ses buffets froids attirait même des touristes et des visiteurs du dimanche.
Mais revenons à notre propos premier: le retour des sœurs Labusque!
Mais revenons à notre propos premier: le retour des sœurs Labusque!
Nicandre Brouillon regarda d'un air mauvais le cadran de son téléphone. Il avait reconnu le numéro de la Gendarmerie. "Encore des problèmes! je vois ça d'ici!" pensa-t-il. "Jamais tranquille" Il décrocha à contre coeur et reconnut la voix de Lagarrigue.
- Vous êtes au courant pour les sœurs Labusque? demanda ce dernier.
- Plus ou moins, ça dépend... Elles vont revenir à Sainte-Trique, si c'est de ça que vous voulez parler. Vu leur âge, presque 80, il serait étonnant qu'elles s'évadent et enjambent les murs de la prison!
- Les murs de la prison, non, mais le portail de la maison de retraite, oui!
- La maison de retraite? s'étonna le maire.
- Leur transfert est une première étape, ensuite leurs avocats demanderont leur grâce, grâce qui les conduira à "L'Antichambre de la Vie Eternelle".
- Et alors? Cher Lagarrigue, quelle importance?
- Capitale! L'Antichambre va devenir un cauchemar, tout simplement. Ces deux-là ont une santé d'enfer! Elles sont bien parties pour dépasser les cent ans! Cela nous fait 20 ans de haine à supporter!
- Quand on haine, on a toujours vingt ans, mon cher gendarme, vous êtes bien placé pour le savoir, vous qui côtoyez les taigneux tous les jours!
- Moi? Je haine ni les uns ni les autres! Soyons concrets! Quelle est votre position, Monsieur le Maire?
Ce mot de "position" le fit un instant rêver mais Nicandre Brouillon se reprit immédiatement. Pas de bagatelles ni de rêve fantasmatique de strings de soutien-gorge! Le devoir, d'abord le devoir!
Ce mot de "position" le fit un instant rêver mais Nicandre Brouillon se reprit immédiatement. Pas de bagatelles ni de rêve fantasmatique de strings de soutien-gorge! Le devoir, d'abord le devoir!
- La discrétion, mon cher ami, la discrétion! Silence! Pour l'instant elles ne sont pas encore arrivées! Laissons la Providence providere!
- Providere? c'est quoi?
- Du latin "providere" c'est à dire "agir".
- Du latin "providere" c'est à dire "agir".
- Et si elle ne fait rien?
-Vous parlez de l'administration? demanda le maire.
- Évidemment non! Ne rien faire, pour l'administration est chose naturelle et admise! Je parle de la Providence!
-Vous parlez de l'administration? demanda le maire.
- Évidemment non! Ne rien faire, pour l'administration est chose naturelle et admise! Je parle de la Providence!
- Nous respecterons sa nonchalante volonté! affirma Nicandre Brouillon.
- Bref, wait and see! Monsieur le Maire.
- C'est tout à fait ça, les élections sont pour bientôt! Donc silence Radio!
Lagarrigue raccrocha perplexe. Les deux vipères au point où on en était, débarqueraient à Sainte-Trique sous peu. Et ce serait à ses services d'assurer le transfert!
Ce que redoutait Lagarrigue arriva trois semaines plus tard. Le fourgon cellulaire livra à la prison de Sainte-Trique les deux bigotes criminelles. Lagarrigue était présent évidemment, sa curiosité en éveil et sa conscience professionnelle en alerte. Notre bon gendarme fut surpris par la vitalité des deux vieilles filles. Apparemment leur incarcération leur avait donné comme une seconde jeunesse. On avait même l'impression qu'elles revenaient d'un voyage lointain et non d'une prison lugubre.
Le fourgon s'arrêta à l'entrée d'une porte dérobée afin d'éviter les journalistes et les curieux. Les portières arrière s'ouvrirent. Quatre personnages debout se préparaient à descendre les deux marches: les deux gendarmes et les deux douairières décharnées.
Ces dernières, menottées, chapeautées, en robes identiques: grises à fines rayures noires et en talons plats posèrent en même temps leurs pieds sur la première marche. Et c'est là que tout bascula, elles sautèrent hors du véhicule avec une parfaite harmonie. Comme par miracle les menottes qui les reliaient chacune à un gendarme glissèrent de leurs poignets. D'un grand coup de sac à main, en pleine figure, elles écrasèrent le nez des deux pandores qui sous la douleur tombèrent à genoux, tenant leurs appendices nasals ensanglantés. Lagarrigue, tétanisé, ne put bouger d'un centimètre. La scène devint hallucinante. Les sœurs Labusque se mirent à courir et en un tour de pas, disparurent au coin de la rue. Des sifflets retentirent! Trop tard. Les Labusque s'étaient évaporées. Lagarrigue ne put qu'en faire l'amère constatation.
Les deux gendarmes escorteurs, le nez en sang, se relevèrent au bord de l'évanouissement. Lagarrigue comprit: les poignets des deux fugitives étaient si fins que les deux sœurs avaient simplement fait glisser leurs menottes. Il comprit aussi que les titres dans la presse allaient tout faire pour les ridiculiser. Lagarrigue voyait cela d'ici! Fataliste, il déclencha le plan hors-sac
Le fourgon s'arrêta à l'entrée d'une porte dérobée afin d'éviter les journalistes et les curieux. Les portières arrière s'ouvrirent. Quatre personnages debout se préparaient à descendre les deux marches: les deux gendarmes et les deux douairières décharnées.
Ces dernières, menottées, chapeautées, en robes identiques: grises à fines rayures noires et en talons plats posèrent en même temps leurs pieds sur la première marche. Et c'est là que tout bascula, elles sautèrent hors du véhicule avec une parfaite harmonie. Comme par miracle les menottes qui les reliaient chacune à un gendarme glissèrent de leurs poignets. D'un grand coup de sac à main, en pleine figure, elles écrasèrent le nez des deux pandores qui sous la douleur tombèrent à genoux, tenant leurs appendices nasals ensanglantés. Lagarrigue, tétanisé, ne put bouger d'un centimètre. La scène devint hallucinante. Les sœurs Labusque se mirent à courir et en un tour de pas, disparurent au coin de la rue. Des sifflets retentirent! Trop tard. Les Labusque s'étaient évaporées. Lagarrigue ne put qu'en faire l'amère constatation.
Les deux gendarmes escorteurs, le nez en sang, se relevèrent au bord de l'évanouissement. Lagarrigue comprit: les poignets des deux fugitives étaient si fins que les deux sœurs avaient simplement fait glisser leurs menottes. Il comprit aussi que les titres dans la presse allaient tout faire pour les ridiculiser. Lagarrigue voyait cela d'ici! Fataliste, il déclencha le plan hors-sac