lundi 23 avril 2012

De la bonne utilisation des coffres de toit de voiture
ou
Comment rapatrier Grand-mère à moindre frais


(c'est le cas de le dire!)


Chapitre 3
Ayant bu, que dis-je apprécié avec délectation et à sa juste valeur, la bière que l'auteur, dans sa grande générosité, avait offerte virtuellement, à son héros, Lagarrigue se sentit en meilleure forme. Il prit son képi, sa vareuse, sa valise doublée d'un velours vert luisant et sans attendre d'éteindre ni d'étreintes, évacua la vendarmerie (pardon, la gendarmerie).


Le bleu du jour faisait place à une l'obscurité de plus en plus obsédante et le charme de la nuit s'apprêtait à bercer chaque Sainte-Triquois afin d'atténuer, des corps et des âmes, la fatigue journalière. La Lune apportait son croissant, paradoxe car l'heure n'était pas au déjeuner et les lampadaires rassuraient de leurs halos les passants tout en brûlant généreusement papillons de nuits et insectes. Pas de brouillard cependant, même pas une demi-brume pour avoir un voyou qui vous ressemblerait et qui siffloterait les mains dans les poches, comme celui d'Apollinaire, ce Mâle aimé. Mais, trop de poésie tuant la poésie, revenons à notre sujet.


Notre gendarme eut l'oeil attiré par un break immatriculé en Angleterre, dont la galerie portait un long coffre gris soigneusement arrimé. Ce qui frappa notre détective militaire, ce ne fut point tant la présence de ce coffre tout à fait banal somme toute, mais la présence sur le dit coffre de cinq ou six matous humant le toit de la voiture comme s'il était saupoudré de mou.


Lagarrigue pensa immédiatement qu'il devait y avoir une quelconque bestiole prise au piège dans l'obscurité de ce porte-bagage. Il observa le manège des chats, amusé, et resta là un long moment à suivre leur étrange manoeuvre. Lagarrigue en était là lorsqu'il vit un couple d'une quarantaine d'années bien sonnées au carillon de Big Ben, s'approcher de la voiture d'un pas d'abord décidé, puis plus circonspect, enfin franchement hésitant lorsqu'ils aperçurent le képi du gendarme. L'homme et la femme faisaient maladroitement semblant qu'ils étaient étrangers au véhicule assailli de chats, mais comment cacher que l'on appartient à la perfide Albion! Impossible lorsque l'on a des taches de rousseurs, la peau maladivement blanche et l'air d'avoir avalé un parapluie entier au dernier thé. Là, notons tout de suite qu'être Anglais n'est pas un défaut ou pire une tare, loin de là, la pensée de l'auteur! Il souligne par là, modestement que l'apparence physique des personnages était en corrélation avec la plaque d'immatriculation de la voiture, ce qui facilita la tâche du gendarme.
- Halte! Gendarmerie! cria Lagarrigue.
Le couple se figea et même sembla rétrécir....Les deux ressemblaient maintenant à une statue de sel.
- C'est à qui cette auto? demanda le gendarme, rendant ainsi un hommage discret à l'architecte créateur de son foyer professionnel, le Japonais Setaki Setoto (cf "Les Chroniques de Sainte-Trique" du même auteur note de l'éd.)
Le couple faisait tout pour avoir l'air de ne pas comprendre. Lagarrigue maintenant leur faisait face.
- Madame, monsieur, I repeat. Is this car is yours! (Je répète, est-ce que cette voiture est la vôtre! note du trad.)
L'homme semblant imiter Lagarrigue se décida à ouvrir sa bouche et déclara:
- Cette auto, c'est à moi c'est un break dense et confortable de quatre cylindres en ligne...
- Veuillez me présenter vos passeports et la papiers du véhicule! intima fermement et poliment le représentant de la maréchaussée.


Lagarrigue parcouru tous les documents et déclara
- C'est parfait. It's perfect! Et dans le coffre du toit qu'est-ce qu'il y a pour que tous les chats du quartier le reniflent! Du saucisson? de la panse de brebis farcie?
- Pas de la panse de brebis farcie déclara Gladys, de nom de jeune fille Waterproof.
- Alors? demanda le gendarme.
Le mari prit à son tour la parole:
- Ce n'est pas de la panse de brebis farcie, plat écossais à manger avec une pince sur le nez, mais ça y ressemble!
- Oooooooooooh! fit l'Anglaise. Peter ! Vous êtes odieux et cruel!
- Moi odieux? Monsieur le policeman français, je vais tout vous dire. Dans le coffre il y a ma belle-mère! Vous comprenez la ressemblance avec la panse de brebis!
- J'avoue que non, avoua Lagarrigue, et que fait votre belle mère sur le toit de votre voiture? Elle dort?
- En quelque sorte! répondit Peter.
- En quelque sorte? ça veut dire quoi?
- Elle dort provisoirement dans ce coffre certes, mais définitivement dans l'absolu!
- En clair, elle est morte! dit Lagarrigue.
- Exact, mon cher Hercule...


- Je ne suis pas un héros de la vieille Agatha, rectifia Lagarrigue! Je ne m'appelle pas Hercule et je ne ris pas! Je suis Lagarrigue, gendarme à Sainte-Trique, donc hunc et nunc et si j'ai bien compris, je répète: votre belle-mère est morte!
- C'est tout à fait cela! Elle est morte hier en Espagne, il y a à peine un jour: trois verres de Sangria à la santé de notre reine et deux heures de plage sur la Costa Dorada ont eu raison de sa santé à elle. Nous l'avons retrouvée cramoisie comme une langouste, les antennes en moins, notez bien! Que faire? Ma femme y tenait, il faut la comprendre, c'était sa mère; moi, je l'aurais bien jetée aux requins, mais ils sont rares en Méditerranée. En plus, ma belle-mère était une Waterproof, nom commun dans notre contrée le Sussesecs! Si elle prenait facilement des coups de soleil, elle résistait très bien à l'eau! Je me suis plié à l'avis de mon épouse: ramener le corps de sa mère dans sa patrie. Nous étudiâmes donc les diverses possibilités: les pompes funèbres: trop chères, Angleterre-assistance: trop tard, ils ne rapatrient pas les morts mais uniquement les blessés et les malades. Nous avons envisagé un moment de l'asseoir sur le siège arrière: pas pratique, le passage à trépas ne l'avait pas arrangée: elle était qui était déjà raide en temps normal était devenu d'une rigidité, d'une rigidité, comment dire?
- D'une rigidité cadavérique, compléta Lagarrigue.
- Exactement! Si on avait eu des poignées à disposition, on aurait pu les visser directement!
- Ainsi, sans poignées et par soucis d'économie, vous en êtes venus à la solution du coffre de toit!
- C'est tout à fait ça, monsieur le gendarme! Le coffre du toit: la bonne forme, la bonne longueur à quelques inches près. Nous y avons allongé délicatement belle maman. Nous l'avons calée avec des serviettes et attachée avec du fil de pêche... Et en route!

Lagarrigue était interloqué. En trente ans de carrière, il en avait vu de toutes les couleurs, mais le coup de la belle mère sur le toit, c'était nouveau. En plus, ce couple britannique ne semblait absolument pas troublé par leur comportement.
Le gendarme ne réfléchit pas plus d'une seconde pour prendre sa décision. Il ordonna aux Anglais de monter dans leur véhicule, il prit lui-même place à l'arrière:
- Nous allons à la morgue ! Suivez mes indications!
- Laissez-nous poursuivre notre voyage!
- Pas question! Qui prouve que vous n'avez pas assassiné la pauvre vieille? Qui prouve que vous ne mentez pas! Nous irons ensuite à la gendarmerie et je prendrai votre déposition...

L'enquête suivit son cours. C'était bien la belle-mère du conducteur et elle était décédée naturellement d'un arrêt cardiaque. La pauvre dame fut rapatriée dignement au pays des Beatles. Quant au couple, il écopa d'une forte amende et de trois semaines de prison avec sursis.
Lagarrigue, lui ne regarda plus jamais un coffre de toit sans un arrière doute...