lundi 23 avril 2012

Le Blues de Lagarrigue


Comment un soleil déclinant d'automne
peut noircir le moral d'un gendarme...


Chapitre 2



Notre héros, le gendarme Lagarrigue avait depuis quelques semaines un moral en baisse. Pourquoi? Il n'aurait pas su le dire lui-même. Plus rien ne semblait vraiment l'intéresser: ni les planques pour surprendre Pauvrantoine, le sourd-muet, en train de braconner dans la forêt, ni les parties de cache-cache avec les automobilistes et encore moins l'utilisation des jumelles-radar pour observer discrètement les ébats des amoureux au loin, au bord de la rivière de Sainte-Trique, la Germe (ainsi dénommée par Litote, philosophe aujourd'hui oublié, parce que ses eaux rares et paresseuses n'avaient jamais eu la moindre influence sur la culture et l'agriculture du village.)
Une rivière inutile, moche, caillouteuse et sans intérêt donc comme l'est la Seine à Paris pour son Premier Magistrat qui souhaiterait s'en débarrasser et la remplacer par une large piste cyclable pour y faire rouler ses "Vélibs". "Paris Plage" devenant: "Paris-Piste". (N'avait-il pas déclaré, citons-le: "Je pisterai partout", montrant ainsi sa volonté puissante d'évacuer les critiques et les blocages des pro statu quo, prêts à laisser couler leur Seine indéfiniment sans retenue!)

Mais laissons là Notre-Dame-de-Paris, les Nains Valides, les tuyaux de Pompidou et les colonnes de Buren pour revenir à notre bon bourg de Sainte-Trique

Son maire avait bien eu l'idée de la couvrir (pas Notre Dame, la Germe! Suivez un peu, c'est pourtant clair!) et d'y faire passer une route mais l'opposition s'y était opposée. (Rien de plus normal à cela, une opposition, comme son nom l'indique ne peut faire autre chose que d'être contre et il y a même dans certains partis politiques une opposition "interne" comparable au ver qui dévore le fruit qui l'abrite et le nourrit. Ndl'A). Bref, la Germe résistait tel un virus d'hôpital, triste et vaseuse...
Eh! oui, cher lecteur, notre héros se sentait lui aussi triste et vaseux: l'été avait été très chaud, les orages rares, le vent desséchant et tous les cols chics qui venaient lui casser les pieds, les technocrates, les gradés, fleurissaient en cette fin d'été comme les chrysanthèmes sur les tombes en novembre.
En un mot commençant par "m", le "m" du ton mineur (l'auteur étant musicien à ses heures, il ne peut s'empêcher d'étaler ses pauvres connaissances comme l'on étale la confiture sur une tartine, mais lui, il essaie de ne pas couler) l'âme de Lagarrigue pensait en ton mineur, (car le gendarme a une âme, même si des mauvaises langues affirme qu'il n'a pas d'esprit, mais c'est une autre histoire comme le disait le frère Kipling). Pour les Lacaniens, Lagarrigue eût été jugé comme en pré-dépression et pour ses copains, plus simples et moins torturés, il n'avait tout simplement pas le moral!

- Votre nom?

- Droibonly, Monsieur le Brigadier.
- Épelez s'il vous plaît!Toutes les petites joies quotidiennes du gendarme étaient résumées en les touches de la vieille machine: des touches franches, des touches hésitantes, des touches fuyantes, des touches rebelles et des touches paresseuses: une véritable représentation de l'humanité entière, résumée sur un clavier Olivetti! Relire alors son travail, voir les mots noir sur blanc, donnait à notre gendarme l'apaisement du devoir accompli.Or, ce fut un fait de début d'hiver, un méfait imprévu qui réveilla en lui l'homme de devoir sous-pression, amateur à son heure de bonnes bières. Oui le limier subtil n'était pas encore à enterrer. Lagarrigue lève-toi et marche vers la lumière: allume les néons de ton bureau, ne reste plus dans l'obscurité et sers-toi une Bradwurstein bien fraîche.- Y'en a plus! gémit Lagarrigue.- Alors va en acheter! On ne va pas tout te dire! J'ai le chapitre 3 à commencer! J'ai pas le temps d'aller chez Lidal...Et Lagarrigue pensait: pourvu qu'il n'y ait pas trop de "a" , la touche coince...


Lagarrigue, tout à coup, se sentit mieux. Oui, il comprit qu'il devait réagir! Il était un des phares du beau village de Sainte-Trique. Il se mit au garde-à-vous et regarda le portrait du Président de la République. Une nouvelle force monta en lui: une force de l'ordre de la volonté de servir!
- Président! Me voilà! Je me réveille et je veille et veillerai sur le territoire soumis à ma compétence, avec sagesse et lucidité!
Il prit un bon d'engagement et commanda illico une nouvelle machine à écrire, une nouvelle voiture au Ministère Désarmé. Oui, Lagarrigue en retrouvant ses forces, allait écrire ces belles pages de gloire que rapportent ces Nouvelles Chroniques.


L'auteur qui connaît bien son héros se devrait de lui administrer une bonne dose d'adrénaline pour le sortir de ce mauvais passage mais ce même auteur ne peut rien face à la rigueur des lois militaires: Lagarrigue approchait de l'âge fatidique où l'armée n'en voudrait plus et où il devrait reprendre une vie civile. Pour notre bon gendarme, cet événement ressemblait à une condamnation à mort: plus de 4L cahotante, plus de bureau dans la gendarmerie, plus d'uniforme, plus de treillis... Plus rien! Même plus de machine à écrire modèle 1939 où il était si heureux de taper avec un doigt les dépositions des plaignants et des prévenus!